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Qu’on se le dise d’entrée de jeu : l’union entre le cinéma français et Asghar Farhadi m’inquiétait. Ainsi, j’émettais de sérieuses réserves concernant Le Passé, son dernier film présenté en Sélection Officielle au dernier Festival de Cannes. La faute à une bande-annonce franchement ratée et à un casting qui ne m’inspirait pas grand-chose. Mais par respect pour l’homme qui réalisa Une séparation, l’un de mes coups de cœur de 2011, dont la mise en scène, la subtilité du scénario et la finesse du propos restent un exemple de savoir-faire et d’intelligence créatrice, je me devais d’accorder à ce Passé une attention particulière. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le film vaut largement le déplacement.

Dès les premières scènes, le ton est donné : la mécanique est bien rôdée et elle fonctionne tout aussi bien en France qu’en Iran. Le cadre spatial a beau s’être déplacé, les Hommes se heurtent aux mêmes obstacles chez Farhadi : la cellule familiale lieu privilégié des silences encombrants, du culte du non-dit, du règne de la supputation, où la culpabilité infecte les relations comme une vilaine gangrène et où les intérieurs tentent de faire barrage pour réinstaurer une parole écoutée, mais surtout entendue. De l’analyse des comportements humains, qui passent intégralement par les dialogues, le cinéaste donne naissance à un film-chorégraphie dans lequel le quotidien et les gestes simples sont théâtralisés, mais où tout fait sens, où tout sonne juste. À en croire les confessions de tournage des comédiens, les scènes sont répétées, instrumentalisées et chorégraphiées au millimètre près et les interprètes sont poussés jusqu’à leurs propres limites. Farhadi les dirige, les orchestre et les vide de toutes substances qui pourraient venir parasiter les personnages de fiction qu’ils doivent incarner et pas simplement jouer. Partant de là, il est légitime de craindre que la mécanique (très bien huilée, au demeurant) ne prenne le pas sur le naturel faisant ainsi barrage à l’émotion. Heureusement, il n’en sera rien. Sans aller chatouiller le spectateur là où il en a envie et sans le prendre en otage, le film touche, concerne, émeut, révolte aussi parfois et laisse après-coup une sensation de plénitude, l’impression d’avoir partagé un moment de vie avec les protagonistes. De même, Farhadi réitère l’exploit d’Une séparation en offrant différents points de vue sur la situation. En effet, chacun entre dans l’intimité des personnages (sans s’engouffrer dans un voyeurisme impudent) avec ses codes, son vécu et son empathie. Sur base de peu de chose, Le Passé ne dicte pas, il se contente de raconter et d’esquisser un rythme qui installe au fur et à mesure le trio « amoureux » (femme, ex-mari, actuel-futur-ex compagnon) dans une intrigue à haute tension.

De plus, ce Passé bénéficie aussi d’un casting efficace qui sert honorablement le film. Si Ali Mosaffa (l’évidence du film), Tahar Rahim (toujours un peu mou du genou, mais excusé de peu puisque ça nourrit le rôle de Samir) et Bérénice Bejo (plus charismatique que prévu et tout à fait cohérente, même si l'on peut s’interroger sur la légitimité de sa Palme d’interprétation féminine à Cannes…) s’attirent et se repoussent dans une valse effrénée avec une aisance manifeste, les performances marquantes du film se trouvent du côté des enfants, Elyes Aguis (Fouad) et Pauline Burlet (Lucie) en tête. Cette dernière, jeune actrice belge découverte dans La Môme, livre une belle performance tout en retenue et en intensité. Elle a un regard époustouflant  qui, on l’espère, lui ouvrira une belle carrière au cinéma. La relation qui unit Ahmad et Lucie reste un des centres nerveux du récit que l’on aurait aimé voir encore plus creusé parce que l’on sent l'énorme capacité de Farhadi à imprimer à l'écran les ramifications et les effets miroir entre ses protagonistes.

Toutefois, en contraste avec les dithyrambes de la presse, certains blogueurs regrettent la prévisibilité du scénario, les quelques chutes que l’on voit venir progressivement sans grand effort et les nombreux retournements de situation qui, selon eux, ne rendent pas hommage à la délicatesse d’écriture de Farhadi, celle-là même qui envoutait dans Une séparation. S’il est difficile de leur donner complètement tord, il n’en demeure pas moins que le débat est vain dans la mesure où Le Passé est un beau film, non dénué de défauts, mais qui amène son lot d’émotions et happe le spectateur dans une démarche intègre et sincère, évitant au passage les clichés du cinéaste étranger qui vient filmouiller en France. Toutes ces raisons (et bien d’autres) installent le film dans une position assez prestigieuse au vue de la majorité des produits cinématographiques qui sortent chaque semaine dans l'Hexagone. Par conséquent, ne pinaillons pas et buvons le verre cul-sec : Asghar Farhadi est un grand cinéaste où qu’il pose sa caméra. 

Note du film : 8,5

Qu’on se le dise d’entrée de jeu : l’union entre le cinéma français et Asghar Farhadi m’inquiétait. Ainsi, j’émettais de sérieuses réserves concernant Le Passé, son dernier film présenté en Sélection Officielle au dernier Festival de Cannes. La faute à une bande-annonce franchement ratée et à un casting qui ne m’inspirait pas grand-chose. Mais par respect pour l’homme qui réalisa Une séparation, l’un de mes coups de cœur de 2011, dont la mise en scène, la subtilité du scénario et la finesse du propos restent un exemple de savoir-faire et d’intelligence créatrice, je me devais d’accorder à ce Passé une attention particulière. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le film vaut largement le déplacement.

 

Dès les premières scènes, le ton est donné : la mécanique est bien rôdée et elle fonctionne tout aussi bien en France qu’en Iran. Le cadre spatial a beau s’être déplacé, les Hommes sont heurtent aux mêmes obstacles chez Farhadi : la cellule familiale lieu privilégié des silences encombrants, du culte du non-dit, du règne de la supputation, où la culpabilité infecte les relations comme une vilaine gangrène et où les intérieurs tentent de faire barrage pour réinstaurer une parole écoutée, mais surtout entendue. De l’analyse des comportements humains, qui transparaissent intégralement par les dialogues, le cinéaste donne naissance à un film-chorégraphie dans lequel le quotidien, les gestes de tous les jours sont théâtralisés, mais où tout fait sens, où tout sonne juste. À en croire les confessions de tournage des comédiens, les scènes sont répétés, chorégraphiés, orchestrés au millimètre et les interprètes sont poussés jusqu’à leurs propres limites. Farhadi les dirige, les orchestre et les vide de toutes substances qui pourraient venir parasiter les personnages de fiction qu’ils doivent incarner, pas simplement jouer. Partant de là, il est légitime de craindre que la mécanique (très bien huilée, au demeurant) ne prenne le pas sur le naturel faisant barrage à l’émotion. Heureusement, il n’en sera rien. Sans aller chatouiller le spectateur là où il en a envie et sans le prendre en otage, film touche, concerne, émeut, révolte aussi parfois et laisse après-coup une sensation de plénitude, l’impression d’avoir partagé un moment de vie avec les protagonistes.  De même, Farhadi réitère l’exploit d’Une séparation en offrant différents points de vue sur la situation. En effet, chacun entre dans l’intimité des personnages (sans s’engouffrer dans le voyeurisme impudent) avec ses codes, son vécu et son empathie. Sur base de peu de chose, Le Passé ne dicte pas, il se contente de raconter et d’esquisser un rythme qui installe au fur et à mesure le trio « amoureux » (femme, ex-mari, actuel-futur-ex compagnon) dans une intrigue à haute tension.

De plus, ce Passé bénéficie aussi d’un casting efficace qui sert honorablement le film. Si Ali Mosaffa (l’évidence du film), Tahar Rahim (toujours un peu mou du genou, mais excusé de peu puisque ça nourrit le rôle de Samir) et Bérénice Bejo (plus charismatique que prévu et tout à fait cohérente, même si on peut s’interroger sur la légitimité de sa Palme d’interprétation féminine lors du festival de Cannes…) s’attirent et se repoussent dans une valse effrénée avec une aisance manifeste, les performances marquantes du film se trouvent du côté des enfants, Elyes Aguis (Fouad) et Pauline Burlet (Lucie) en tête. Cette dernière, jeune actrice belge découverte dans La Môme, livre une belle performance tout en retenue et en intensité. Elle a un regard époustouflant  qui, on l’espère, lui ouvrira une belle carrière au cinéma. La relation qui unit Ahmad et Lucie reste un des centres nerveux du récit que l’on aurait aimé voir encore plus creusée parce que l’on sent énorme la capacité de Farhadi à imprimer à l’image les ramifications entre ses protagonistes.

Toutefois, en contraste avec les dithyrambes de la presse, certains blogueurs regrettent la prévisibilité du scénario, les quelques chutes que l’on voit venir progressivement sans grand effort et les nombreux retournements de situation qui, selon eux, ne rendent hommage à la délicatesse d’écriture de Farhadi, celle-là même qui envoutait dans Une séparation. S’il est difficile de leur donner complètement tord, il n’en demeure pas moins que le débat est vain dans la mesure où Le Passé est un beau film, non dénué de défauts, mais qui amène son lot d’émotions et happe le spectateur dans une démarche intègre et sincère, évitant au passage les clichés du cinéaste étranger qui vient filmouiller en France. Toutes ces raisons (et bien d’autres) installent le film dans une position assez prestigieuse au vue de la majorité des produits cinématographiques qui sortent chaque semaine en France. Par conséquent, ne pinaillons pas et buvons le verre cul-sec : Asghar Farhadi est un grand cinéaste où qu’il pose sa caméra. 

Tag(s) : #Critiques, #2013, #2010 - 2020, #Coups de génie
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