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Adaptation du chef-d’œuvre épistolaire de Pierre Choderlos de Laclos, le film de Stephen Frears peut se targuer de faire partie de cette minorité cinématographique des « adaptations réussies ». Petit prodige du genre, ça méritait bien un article.

Pour rester dans le bon goût, on partira ici du postulat que les adaptations télévisées de Charles Brabant et de Josée Dayan n’ont pas existées, tout comme la chanson de Mylène Farmer, « Beyond my control », n’a rien à revendiquer de cette œuvre brillante. Et, pour rester agréable, je n’évoquerai même pas la bouse sans nom qu’est Sexe intentions, prétendue Liaisons dangereuses version 1999. Grand Dieu non, ça n’a pas existé !

Quand on connait quelque peu le roman, sa densité, sa force d’évocation, son insolence majestueuse, son ambiguïté, son caractère situé, mais pourtant indémodable, la richesse de la plume de Laclos et l’ambiance qui y règne, on ne peut qu’être admiratif du travail d’orfèvrerie – théâtrale – de Stephen Fears. Passer du format épistolaire au récit filmique était déjà une étape en soi. Mais, ce n’était rien comparé au travail de sélection déterminant le rythme de la narration, l’impulsion qui donne au film sa dynamique, son « ici et maintenant ». Une fois ces directions artistiques entreprises, il fallait encore trouver les comédiens capables de donner vie à ces monstres sacrés de la littérature. J’ai beau prôner depuis des années qu’avec un bon directeur d’acteurs, les comédiens les plus moyens (je n’ai pas dit mauvais, vous remarquerez) peuvent atteindre un niveau épatant (on se rappellera alors pourquoi j’aime tant Woody Allen), toujours est-il que dans le cas du roman de Laclos, il fallait une sacrée clique d’épaules bien taillées pour supporter la densité du jeu (sans tomber dans le surjeu ultra théâtralisé poisseux), le sulfureux toujours classe, l’auguste profusion des mots et du phrasé qui participent de l’exaltation des dialogues.

Choisir des comédiens capables de cet exercice n’aurait toujours pas été suffisant. Il leur fallait encore convaincre dans le registre de la séduction, une séduction libertine, manipulatrice et impératrice. Et à ce jeu-là, qui peut arguer de détrôner John Malkovich et Glenn Close ? Ne cherchez pas, c’était une question rhétorique, la réponse se trouve dans la question, en filigrane : personne, pardi ! Fort heureusement, à leurs côtés, Michelle Pfeiffer est une Présidente de Tourvel exceptionnelle (mais Michelle est toujours exceptionnelle donc ce que je dis ne sert à rien, j’en conviens !), Uma Thurman en Cécile de Volanges se laisse dévorer avec beaucoup de naturel et, quant à Keanu Reeves, il prête honnêtement ses traits de jeune dandy niais au chevalier Danceny. Casting 5 étoiles donc. Il fallait bien ça pour donner vie à ce roman de l’abstraction.

La mise en scène de Frears cultive des procédés qui font écho avec le contenu thématique de l’œuvre : les corps et leurs mouvements promeuvent la dynamique, la caméra se faufile par delà les portes, œil espiègle, le réalisateur s’introduit dans les lieux d’entre-deux comme les escaliers, les couloirs, les trous de serrure, le champ laisse une grande place aux miroirs, rappel de la vacance des apparences, et la nuit, terrain de chasse libertin par excellence, est largement appréhendée. La lettre, cœur structurant du roman, n’est pas reniée par la transposition en images. En effet, elle reste l’objet de destruction des anciens amants, Valmont et Merteuil. S’ils manient les mots avec aisance, c’est bel et bien la fixation, cette forme singulière d ‘engagement, qui causera leur perte.On ne peut pas parler des Liaisons dangereuses (tant du roman que du film, d’ailleurs) sans s’attarder plus avant sur le duo/ duel : Valmont/ Merteuil. Si la Marquise de Merteuil est présentée comme une libertine, sans foi ni loi, qui dissimule ses « affaires » sous un joli masque de vertu, elle semble porter un autre masque bien plus pesant : celui de sa condition de femme. En refusant de devenir le simple « reflet » d’un homme, d’un mari, elle est devenue une « guerrière » inflexible afin d’exister par soi-même et pour soi-même. Femme dotée d’une intelligence rare, elle se met, toutefois, en danger par le biais de sa relation avec Valmont. Si chacun prétend n’être qu’un défi pour l’autre, on sent un lien sincère se créer entre eux au fil de l’intrigue, par delà les jeux de domination/ soumission. En refusant d’être son trophée, elle courra à leur anéantissement. Si Valmont perd la vie, il assène un double coup de grâce à Merteuil : elle se retrouve suicidée socialement et devant affronter seule la perte de celui qu’elle aime (parce que, oui, je fais partie de ceux qui y voient une certaine forme d’amour). Si le livre se perdait dans une sanction physique de Merteuil (elle disparaissait, atteinte de la petite vérole), le film se clôture sur une scène bien plus forte, symboliquement chargée, où Merteuil se démaquille devant le miroir, se délégant ainsi de son apparat et de ses masques. Reste la femme nue.

Glenn Close et John Malkovich offrent une grande leçon de cinéma, touchant du bout des doigts l’apogée de leur art. On reconnait les Grands quand on les voit, et ceux-là sont carrément immenses et prodigieux et on ne s’y méprend pas. 

Un classique parmi les Classiques, Les liaisons dangereuses de Stephen Frears restituent une ambiance, une époque, une perversion, une énergie et une dynamique à un des plus grands romans de tous les temps. Il a fait de Glenn Close et de John Malkovich les interprètes mythiques de deux mythes de la littérature française, ni plus ni moins, témoignant ainsi de l’imminente modernité du roman de Laclos.

Note du film: 8,5/10

  

Adaptation du chef-d’œuvre épistolaire de Pierre Choderlos de Laclos, le film de Stephen Frears peut se targuer de faire partie de cette minorité cinématographique des « adaptations réussies ». Petit prodige du genre, ça méritait bien un article.
 
Pour rester dans le bon goût, on partira ici du postulat que les adaptations télévisées de Charles Brabant et de Josée Dayan n’ont pas existées, tout comme la chanson de Mylène Farmer, « Beyond my control », n’a rien à revendiquer de cette œuvre brillante. Et, pour rester agréable, je n’évoquerai même pas la bouse sans nom qu’est Sexe intentions, prétendue Liaisons dangereuses version 1999. Grand Dieu non, ça n’a pas existé !
Quand on connait quelque peu le roman, sa densité, sa force d’évocation, son insolence majestueuse, son ambiguïté, son caractère situé, mais pourtant indémodable, la richesse de la plume de Laclos et l’ambiance qui y règne, on ne peut qu’être admiratif du travail d’orfèvrerie – théâtrale – de Stephen Fears. Passer du format épistolaire au récit filmique était déjà une étape en soi. Mais, ce n’était rien comparé au travail de sélection déterminant le rythme de la narration, l’impulsion qui donne au film sa dynamique, son « ici et maintenant ». Une fois ces directions artistiques entreprises, il fallait encore trouver les comédiens capables de donner vie à ces monstres sacrés de la littérature. J’ai beau prôner depuis des années qu’avec un bon directeur d’acteurs, les comédiens les plus moyens (je n’ai pas dit mauvais, vous remarquerez !) peuvent atteindre un niveau épatant (on se rappellera alors pourquoi j’aime tant Woody Allen !), toujours est-il que dans le cas du roman de Laclos, il fallait une sacrée clique d’épaules bien taillées pour supporter la densité du jeu (sans tomber dans le surjeu ultra théâtralisé poisseux), le sulfureux toujours classe, l’auguste profusion des mots et du phrasé qui participent de l’exaltation des dialogues.
Choisir des comédiens capables de cet exercice n’aurait toujours pas été suffisant. Il leur fallait encore convaincre dans le registre de la séduction, une séduction libertine, manipulatrice et impératrice. Et à ce jeu-là, qui peut arguer de détrôner John Malkovich et Glenn Close ? Ne cherchez pas, c’était une question rhétorique, la réponse se trouve dans la question, en filigrane : personne, pardi ! Fort heureusement, à leurs côtés, Michelle Pfeiffer est une Présidente de Tourvel exceptionnelle (mais Michelle est toujours exceptionnelle donc ce que je dis ne sert à rien, j’en conviens !), Uma Thurman en Cécile de Volanges se laisse dévorer avec beaucoup de naturel et, quant à Keanu Reeves, il prête honnêtement ses traits de jeune dandy niais au chevalier Danceny. Casting 5 étoiles donc. Il fallait bien ça pour donner vie à ce roman de l’abstraction.
La mise en scène de Frears cultive des procédés qui font écho avec le contenu thématique de l’œuvre : les corps et leurs mouvements promeuvent la dynamique, la caméra se faufile par delà les portes, œil espiègle, le réalisateur s’introduit dans les lieux d’entre-deux comme les escaliers, les couloirs, les trous de serrure, le champ laisse une grande place aux miroirs, rappel de la vacance des apparences, et la nuit, terrain de chasse libertin par excellence, est largement appréhendée. La lettre, cœur structurant du roman, n’est pas reniée par la transposition en images. En effet, elle reste l’objet de destruction des anciens amants, Valmont et Merteuil. S’ils manient les mots avec aisance, c’est bel et bien la fixation, cette forme singulière d ‘engagement, qui causera leur perte.On ne peut pas parler des Liaisons dangereuses (tant du roman que du film, d’ailleurs) sans s’attarder plus avant sur le duo/ duel : Valmont/ Merteuil. Si la Marquise de Merteuil est présentée comme une libertine, sans foi ni loi, qui dissimule ses « affaires » sous un joli masque de vertu, elle semble porter un autre masque bien plus pesant : celui de sa condition de femme. En refusant de devenir le simple « reflet » d’un homme, d’un mari, elle est devenue une « guerrière » inflexible afin d’exister par soi-même et pour soi-même. Femme dotée d’une intelligence rare, elle se met, toutefois, en danger par le biais de sa relation avec Valmont. Si chacun prétend n’être qu’un défi pour l’autre, on sent un lien sincère se créer entre eux au fil de l’intrigue, par delà les jeux de domination/ soumission. En refusant d’être son trophée, elle courra à leur anéantissement. Si Valmont perd la vie, il assène un double coup de grâce à Merteuil : elle se retrouve suicidée socialement et devant affronter seule la perte de celui qu’elle aime (parce que, oui, je fais partie de ceux qui y voient une certaine forme d’amour). Si le livre se perdait dans une sanction physique de Merteuil (elle disparaissait, atteinte de la petite vérole), le film se clôture sur une scène bien plus forte, symboliquement chargée, où Merteuil se démaquille devant le miroir, se délégant ainsi de son apparat et de ses masques. Reste la femme nue.
Glenn Close et John Malkovich offrent une grande leçon de cinéma, touchant du bout des doigts l’apogée de leur art. On reconnait les Grands quand on les voit, et ceux-là sont carrément immenses et prodigieux et on ne s’y méprend pas. 
 
Un classique parmi les Classiques, Les liaisons dangereuses de Stephen Frears restituent une ambiance, une époque, une perversion, une énergie et une dynamique à un des plus grands romans de tous les temps. Il a fait de Glenn Close et de John Malkovich les interprètes mythiques de deux mythes de la littérature française, ni plus ni moins, témoignant ainsi  de l’imminente modernité du roman de Laclos.
 
Tag(s) : #Critiques, #1950-1990, #Classiques, #On en redemande!
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